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Vie et Sciences de l'Entreprise 202La notion de capital humain renvoie aux travaux initiaux de Théodore Schultz (1961) et de Gary Becker (1964) qui relient le capital humain soit à la rationalité des décisions économiques des personnes soit à leurs compétences et à leurs connaissances. Le capital humain constitue ainsi un facteur incontournable des compétences distinctives d’une entreprise et de l’essor économique d’un pays. Le capital humain est formé de trois éléments qui, ensemble, déterminent un potentiel individuel et organisationnel propre à développer un savoir spécifique qui génère à son tour un avantage compétitif majeur pour une microstructure comme pour une organisation. Il s’agit plus précisément des compétences, des expériences et des savoirs. A travers ces trois éléments, le capital humain constitue un espace de confrontation de stratégies individuelles et collectives intéressant plusieurs domaines comme les microstructures, les organisations ou encore la société à part entière. Certaines parties prenantes, à la fois internes et externes, y jouent un rôle de médiation crucial entre les employés, la direction et les instances de gouvernance.

Le capital humain aborde également des notions telles que le dialogue social, le climat social ainsi que les conditions de travail, plus ou moins propices à l’épanouissement individuel et au bien-être. La conflictualité des tensions entre capital et travail a pour corollaire le niveau de confiance établi notamment entre le bloc des dirigeants et actionnaires et celui des salariés. C’est pour cette raison que des recherches empiriques permettant de tester si les investissements en capital humain varient en fonction de ce niveau de conflictualité, déclarée ou potentielle, seraient intéressantes à développer. Le capital humain présente ainsi un domaine d’investigation à la fois large et fécond pour le management des organisations. Mais il mérite aussi d’être davantage explicité avant de pouvoir en envisager des opérationnalisations dans le champ de la gestion : clarification des définitions, questionnement autour du positionnement paradigmatique et des méthodologies de recherche envisagées. C’est tout le défi relevé par ce numéro spécial de VSE consacré au capital humain : délimitation du concept, positionnement théorique et épistémologique, considérations en unités d’analyse, démarches méthodologiques envisagées sans oublier les apports pour les Sciences de Gestion.

Ce numéro spécial propose des articles originaux investiguant le concept de capital humain et témoigne ainsi de la fécondité du champ.

Sandrine Fournier propose d’étudier le lien entre les effets du stress professionnel et organisationnel sur la performance attendue eu égard à la publication des résultats annuels par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance dans les établissements scolaires du secondaire. Elle analyse ainsi la performance des établissements à travers la gestion du stress du capital humain.

Cédric Cistac expose une recherche menée à propos des Organismes à But Non Lucratif et de leur professionnalisme. Ces organisations se structurent et ne peuvent plus, selon Cédric Cistac, « naviguer à vue », surtout dans le contexte réglementaire et économique actuel. Une réflexion sur de nouveaux outils de pilotage et sur l’amélioration des pratiques est nécessaire. L’un des axes d’améliorations en est le capital humain. Ce dernier se situe à la croisée des chemins de « l’Attitude, des Compétences et de la Créativité des salariés ».

Djelloul Arezki, Olivier Keramidas, Edina Soldo étudient de façon contextuelle les antécédents de la mobilisation collective des agents d’un festival public. Cette organisation doit faire preuve, selon eux, d’ambidextrie afin de gérer des paradoxes et spécificités freinant l’action collective. L’analyse menée par ces trois auteurs propose des nouveaux antécédents et variables de soutien de la mobilisation collective, et une requalification des logiques festivalières dépassant la dichotomie art versus management dans le domaine du capital humain.

François Renon se propose d’ouvrir des pistes de réflexion en matière de capital humain sur les dynamiques inconscientes à l’œuvre dans la thématique de l’engagement. Cette recherche d’orientation constructiviste par nature s’appuiera particulièrement sur la théorie psychanalytique. Les principaux résultats de cette recherche exploratoire mettent en évidence le rôle de l’idéologie organisationnelle et des dynamiques narcissiques à l’œuvre dans le processus d’engagement au travail.

Anne Goujon Belghit, Marina Bourgain et Adeline Gilson revisitent la notion de capital humain à travers l’investissement en formation initiale et l’insertion professionnelle des jeunes en France aujourd'hui. Elles montrent que la pertinence de la théorie du capital humain est remise en question par l’approche de la sélection. L’impact de la sélection dans une filière avec/sans l’obtention du diplôme sur la capacité à trouver un emploi de cadre ou une fonction managériale est ainsi investigué dans les trois années suivant la formation.

Jean-Claude Lopez, Jimmy Feige et Georges Bidi explorent les relations entretenues entre différentes organisations sur les marchés publics, sous l’angle des risques supportés, des comportements en matière de négociations et des offres de formations existantes à destination des entrepreneurs de PME.  Ils se demandent si la capacité à entreprendre de façon responsable participe au développement du capital humain de la PME par le dirigeant actionnaire majoritaire.

Leslie Moreiro cherche à savoir dans quelle mesure la technologie peut être l'une des composantes de la compétence collective. A travers une étude de cas au sein du secteur vitivinicole, elle cherche à déterminer les éléments que la technologie est susceptible d’apporter à la compétence. Elle contribue ainsi à illustrer le cadre théorique du capital humain à travers une démarche qualitative contextuelle par étude de cas. La diversité des recherches présentées offre au domaine du capital humain des perspectives prometteuses tant dans des recherches qualitatives abductives par études de cas que dans des recherches hypothético-déductives.

L’article de Thibault Cuénoud apporte des éléments de lecture macroéconomique dans la capacité de toute organisation à définir des indicateurs de valorisation de la performance globale. Il cherche à définir le comportement d’une Banque Centrale dans sa capacité finalement assez limitée de détermination de la quantité de monnaie (libéralisation du marché des devises et innovations financières). Cette dernière influence les anticipations au regard de son statut « d’agence de notation spécifique », et « de prêteur en dernier ressort », donnant du poids à ses décisions et questionnant in fine le rôle réel des agents économiques dans leur capacité d’anticipation des flux monétaires.

L’article proposé dans la tribune libre, écrit par Anne Goujon Belghit et Stéphane Trébucq, traite d’une mesure du capital humain effectuée dans le cadre des travaux conduits au sein de la chaire du capital humain et de la performance globale auprès de 3 contextes organisationnels différents. Ils montrent que la mesure nécessite d’investiguer non seulement la perception des collaborateurs sur les pratiques managériales, mais également leur comportement organisationnel ainsi que leur niveau de créativité.

HOMMAGE A OLIVIER KERAMIDAS

keramidasOlivier Keramidas, Professeur des Universités, est co-auteur de l’un des articles de ce numéro spécial sur le capital humain. Il s’est éteint à l’âge de 41 ans à Marseille. Il était Professeur des Universités et Doyen de l’Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale d’Aix-Marseille Université.

Ses recherches, reconnues à l’échelle internationale, portaient sur l’éthique, l’équité et le management public. Véritable défenseur d’une gestion publique au service et à l’écoute des citoyens, il avait à cœur de servir ses valeurs : l’honnêteté, l’éthique, l’équité et la transmission qu’il diffusait dans des conférences, publications, cours et dans ses directions de thèses…

Il a sans nul doute fait évoluer la pensée contemporaine en management public. Véritable manager, il savait mobiliser collectivement ses troupes et insuffler une dynamique positive même dans les moments difficiles que peuvent vivre les organisations.

Aujourd’hui ce Grand Universitaire nous manque terriblement et, comme l’expliquent ses collègues, « sa force et son courage ont été exemplaires pour ceux qui l’entouraient ».

Djelloul Arezki et Edina Soldo